Johnny's Scrapbook / Glossaire 1ère partie

De Banjo à Jungle Urbaine


Pour aller plus loin dans la découverte du spectacle Johnny's Scrapbook nous avons imaginé un glossaire...


Banjo

L’histoire du banjo cristallise toute la complexité de la question raciale aux Etats-Unis. Pendant trois cents ans, -depuis l’arrivée des premiers esclaves africains en Virginie jusqu’à l’aube du 20ème siècle- le banjo était considéré comme un instrument africain-américain. Il était admis qu’il avait été inventé et joué par des noirs américains, et même lorsqu’il était joué par des comédiens « minstrels » on continuait de l’associer à la culture noire américaine. Mais au cours du siècle dernier, cette tradition s’est éteinte pour laisser la place à une tradition de joueurs de banjo hillbilly (blancs de la région des Appalaches). * Même si la tradition noire du banjo perdure dans les premiers temps du jazz, jusqu'au début des années 30, elle disparaît ensuite sans doute à cause de la trop forte association entre l’instrument et la période de l’esclavage. Comme l’écrit Claude McKay dans son roman Banjo publié en 1922 : « Banjo is bondage. It’s the instrument of slavery. Banjo is Dixie. » 

Le trompettiste Bill Coleman a expliqué dans son autobiographie que tout le monde appelait Johnny Hudgins « Banjo », parce qu’il n’arrêtait pas d’employer ce mot à tout propos. S’il n’aimait pas quelque chose, il disait : « Ce banjo est désaccordé », « Les cordes sont cassées », ou « Ce banjo sonne mal » et plein d’autres expressions concernant cet instrument. **
 
J’emprunte ces explications aux chercheurs Jim Carrier* et Brent Hayes Edwards** 
01_the_coo_coo__coo_coo_bird_.mp3 The Coo Coo (Coo Coo Bird) par John Snipes  (1.88 Mo)


Bert Williams

Né en 1874 et mort en 1922, Bert Williams fut un célèbre comédien "Blackface" noir américain. Se produisant dans la tradition du Vaudeville américain, il était à la fois chanteur, danseur, comédien, mime... Il a joué un rôle important dans le développement de l’ « Entertainment » noir américain. À une époque où l’inégalité et le racisme étaient le lot quotidien  des populations noires, il a été le premier comédien noir américain à tenir un premier rôle sur une scène de Broadway. Durant toute sa carrière, il a œuvré à repousser les barrières raciales. 
 
1_06_nobody.mp3 Nobody par Bert Williams  (3.35 Mo)

Johnny's Scrapbook / Glossaire 1ère partie

The Blackbirds (Revue)

Suite au succès de la Revue Nègre présentée au Théâtre des Champs Elysées, la Revue* des "Blackbirds" s'installe au nouveau Café des Ambassadeurs l'année suivante. Ayant pour point commun d'être composés exclusivement d'artistes noirs-américains, les deux spectacles différent par le fait que le premier a été entièrement imaginé et composé pour le public parisien, tandis que le second a d'abord été créé et joué à l'Alhambra Theater d’Harlem. Les Blackbirds associaient plusieurs grandes stars de l’époque : la chanteuse Florence Mills, les danseurs The Three Eddies, les comédiens Jones et Jones, The Plantation Orchestra et Johnny Hudgins dans son numéro de pantomime. Alternant différents tableaux musicaux et dansés, à grand renfort de décors et costumes somptueux, le spectacle débutait par l’apparition de la gracieuse Florence Mills sortant d’un gâteau d’anniversaire. Il connait un triomphe au nouveau Café des Ambassadeurs à Paris où se presse toute la haute société parisienne, des célébrités américaines et françaises, dont Joséphine Baker, Sacha Guitry, Yvonne Printemps, Maurice Chevalier…
 
“Aussi bien n’est-ce d’ailleurs pas comme une espèce séparée, purifiée, que le jazz est apparu à nos observateurs français après la Première Guerre mondiale. Moins sous la forme du concert ou du disque que du music-hall, de la revue. Spectacles totaux qui, à partir de 1925, se succèdant sur les théâtres parisiens, impliquaient les corps et les décors, la voix, la danse et les chants, la trompette et la batterie, les lyrics et les costumes. Art de la scène qui engageait le tout de l’individu créateur. En serait-il allé autrement, un jazz pur, phénomène seulement acoustique, aurait-il, dans ces années 1920, été concevable, qu’un Johnny Hudgins, par exemple, serait absolument absent de ce livre. Ni musicien, ni chanteur, ni tap dancer, à quel titre y aurait-il séjourné ? Or Johnny Hudgins, bien présent dans ces pages, incarne littéralement le jazz. Le résume dans son insituable essence...”**
 
*La Revue est une forme à grand spectacle alternant moments musicaux, tableaux dansés et sketches. Enraciné dans la tradition du théâtre populaire américain du 19ème siècle, la revue connaît son apogée entre 1916 et 1930. 
**Le jazz, à la lettre  Yannick Séité Presses Universitaires de France
Florence Mills, Johnny Hudgins et les Chorus Girls des « Blackbirds » répétant  en 1926 sur le toit du London Pavillon
Florence Mills, Johnny Hudgins et les Chorus Girls des « Blackbirds » répétant en 1926 sur le toit du London Pavillon

Blackface Minstrels

Dans cette forme de théâtre populaire américain née dans les années 1830, des acteurs blancs grimés en Noirs mettent en scène la culture supposément authentique des Noirs des plantations. Ces spectacles tirent leur origine des danses auxquelles s’adonnaient des esclaves ou des noirs libres notamment sur le marché Sainte-Catherine à New York dans les années 1820. Ces spectacles informels ont inspiré les premiers comédiens blackface, comme Thomas Rice, qui ont formalisé ces gestes sur les planches des théâtres populaires new-yorkais pendant les années 1830, en se maquillant le visage et les mains au bouchon brûlé ou à la graisse. À partir de 1843, et des numéros de Dan Emmet avec ses Virginia Minstrels, les Minstrel shows se stabilisent dans une forme qui nous a été transmise, avec ses personnages caractéristiques comme Jim Crow, ses banjos et osselets, ses blagues noires et ses numéros dansés relativement codifiés. Ces codes perdureront jusqu’aux années 1930, et fourniront notamment la matière au premier film parlant de l’histoire du cinéma (Le Chanteur de jazz, 1927).*

En parallèle, après la guerre de sécession, les noirs affranchis se voient contraints d’adopter les codes du spectacle « Blackface » pour pouvoir se produire sur scène. Ironie de l’histoire, ces comédiens noirs vont à leur tour revêtir le masque Blackface, imitant des blancs imitant des noirs. Se crée ainsi une tradition noire du spectacle Blackface dont Bert Williams est un des représentants les plus respectés par le fait qu’il a su expurger le spectacle Blackface de ces aspects caricaturaux envers les noirs.

Il a été dit de Johnny Hudgins qu'il n'était pas un "blackface performer" au mauvais sens du terme, mais plutôt un clown traditionnel dont l'identité est d'être en blackface de la même manière que le personnage "Bip" du mime Marceau est en "whiteface"... En 1924, déjà, le journal "The Baltimore African American" clarifiait ce point en affirmant : "Johnny ne fait pas de routines à la "Oncle Tom" et, en ce sens, diffère d'un grand nombre de comédiens blackface."" **
 
*J'emprunte ici à l'article d'Emmanuel Parent, « William-T. Jr Lhamon, Peaux blanches et masques noirs », Géographie et cultures 
**Florence Mills "Harlem Jazz Queen" par Bill Egan, The Scarecrow Press
Johnny's Scrapbook / Glossaire 1ère partie

Copyright

Grâce au chercheur Brent Hayes Edwards de la Columbia University, nous avons pu avoir accès à quelques pages d'un ouvrage dont la couverture mentionne en lettres d'or sur fond rouge : "Book giving full description of Johnny Hudgins Own Original Dancing and Pantomime Act". Plus bas, on trouve la mention : "Entitled SILENCE".
 
Rédigé de manière très officielle,  l'ouvrage s'organise en clauses détaillant les lieux où Johnny Hudgins s'est produit, en Amérique et à l'étranger, et stipule sur un ton notarial : "No one is allowed to impersonate me, or use any parts of said Act unless given a written consent from Johnny Hudgins..." ("Personne n'est autorisé à me personnifier, ou à utiliser quelque partie de ce numéro à moins d'en avoir eu l'autorisation écrite de Johnny Hudgins"). Plus loin, sont décrits avec précision ses différents costumes : "A black high silk hat very much broken and bent up. Black pants, big and misfitting..." (Un chapeau haut de forme en soie cabossé et tordu. De grands pantalons noirs mal ajustés...). Enfin, on trouve un descriptif détaillé de ses numéros dansés nommant l'un après l'autre chaque pas et action : "Enter stage with a lazy, droll, slow shuffle... then into a shuffle called "The Pigeon Wing," then go into a complete pivot turn, turning very, very slowly, crossing my feet and not taking them off the floor..." (J'entre en scène avec un glissé lent et désinvolte... puis j'effectue un glissé appelé "L'aile de pigeon", puis j'opère une rotation complète en tournant très, très lentement, en croisant les pieds sans les soulever du sol..." 

Difficile de déceler les motivations à l'oeuvre dans la rédaction de ce qui semble bien être un "copyright" censé protéger le droit d'auteur de Johnny Hudgins. Faut-il y voir une crispation provoquée par la popularité et l'exposition grandissantes de Johnny Hudgins au cours des années 20 ? Ou plutôt une tentative de maintenir son prestige suite à la crise de 1929 dont on sait qu'elle frappa très durement les milieux du spectacle noir américain ? En l'absence de date de rédaction, ces questions restent ouvertes. Quoiqu'il en soit, ce document, d'autant plus touchant qu'il est à douter qu'il ait été de quelque poids légal, témoigne de la situation de précarité de ces artistes confrontés à la volatilité du succès.

On sait que Johnny Hudgins fut surpris, voire meurtris, de constater, à son arrivée à Paris, que Josephine Baker soit devenue une star, en partie grâce à des trouvailles qu'il avait, lui, inventé. Quelques mois auparavant, alors qu'ils étaient partenaires de scène au Club Alabam, où elle n'était que Chorus Girl, il avait pu constater sa capacité d'"appropriation" : "J'allais au balcon la regarder, et c'était comme me voir dans un miroir. Si un soir j'intégrais quelque chose de nouveau à mon numéro, je pouvais être sûr de la voir faire la même chose le lendemain."* Joséphine Baker finira d'ailleurs par lui rendre un hommage explicite.**  

*Cité dans Josephine The Hungry Heart de Jean-Claude Baker et Chris Chase
**Voir photo à "Josephine Baker"
Une page extraite du "Book giving full description of Johnny Hudgins Own Original Dancing and Pantomime Act", "Entitled SILENCE".
Une page extraite du "Book giving full description of Johnny Hudgins Own Original Dancing and Pantomime Act", "Entitled SILENCE".

Cotton Club

Situé à Harlem, le Cotton Club fut un des plus fameux et prestigieux night-club new-yorkais des années 1920-30. Son simple nom évoque aussitôt le jazz et la prohibition.  Réservé au seul public blanc, il accueillait paradoxalement les artistes noirs les plus talentueux :  les musiciens Cab Calloway, Fletcher Henderson, Duke Ellington*, Jimmie Lunceford, Louis Armstrong, Count Basie, Fats Waller, les chanteuses Adelaide Hall ou Ethel Waters, Billie Holiday, Lena Horne, les danseurs Bill "Bojangle" Robinson, The Nicholas Brothers ou encore un certain Johnny Hudgins. Toutes les célébrités du moment s'y pressaient : Jimmy Durante, George Gershwin, Sophie Tucker, Paul Robeson, Al Jolson, Mae West, Richard Rodgers, Irving Berlin, Judy Garland, et jusqu'au Maire de la ville, Jimmy Walker.
 
*Voir "Jungle Urbaine"
13_cotton_club_stomp.mp3 Cotton Club Stomp par Duke Ellington  (3.68 Mo)


Grande Migration

Lors de la grande migration, entre les années 1910 et 1930, près de six millions d’afro-américains, tentant d’échapper au racisme, quittent les états du sud pour rejoindre les grandes villes du nord. Là, ils vont essayer de trouver des emplois dans les grandes villes industrielles. Au cours des années 1920 le quartier d'Harlem à New-York, à l'origine uniquement occupé par des blancs, devint le foyer de près de 200 000 afro-américains. Cet afflux massif de population s'accompagnera d'une grande paupérisation et de tensions raciales fortes qui conduiront à une vague d'émeutes en 1935. 
Union Terminal Colored Waiting Room, Jacksonville, Floride, 1921.
Union Terminal Colored Waiting Room, Jacksonville, Floride, 1921.

Harlem Night Club

Sleek black boys in a cabaret.
Jazz-band, jazz-band,–
Play, plAY, PLAY!
Tomorrow….who knows?
Dance today!

White girls’ eyes
Call gay black boys.
Black boys’ lips
Grin jungle joys.

Dark brown girls
In blond men’s arms.
Jazz-band, jazz-band,–
Sing Eve’s charms!

White ones, brown ones,
What do you know
About tomorrow
Where all paths go?

Jazz-boys, jazz-boys,–
Play, plAY, PLAY!
Tomorrow….is darkness.
Joy today!

Langston Hughes *
*Voir "Harlem Renaissance"
"A Night-Club Map of Harlem" (1932)
"A Night-Club Map of Harlem" (1932)

Harlem Renaissance

Dans la dynamique créée par la Grande Migration, se développe à Harlem, au début des années 1920', un mouvement culturel, social, littéraire et artistique de grande ampleur connu sous le nom de Harlem Renaissance. Y sont associés les écrivains Claude McKay, Zora Neale Husurston, James Weldon Johnson, Alain Locke, Countee Cullen, Langston Hughes, mais aussi les penseurs Marcus Garvey, chantre du "Back to Africa" mouvement, ou W.E.B. Du Bois, promoteur des "Talented Tenth".

Bien avant le "Black is beautiful" des années 1960', le mouvement de la Harlem Renaissance a posé les fondations d'une nouvelle identité et fierté noire-américaine. A travers des productions littéraires, artistiques et musicales, les acteurs du mouvement entendaient déjouer les stéréotypes racistes et promouvoir des idées politiques, raciales et sociales progressistes. 

Cet élan sera contrecarré par la Grande Dépression de 1929 qui jettera la population d'Harlem dans une grande précarité. Duke Ellington conservera une grande nostalgie de cette période de faste créatif, intellectuel et artistique qui n'aura finalement duré que quelques années. 
La couverture de l'anthologie d'Alain Locke considérée comme l'ouvrage de référence du mouvement de la Harlem Renaissance.
La couverture de l'anthologie d'Alain Locke considérée comme l'ouvrage de référence du mouvement de la Harlem Renaissance.

I’m a little Blackbird looking for a Bluebird too

“I’m a little Blackbird looking for a Bluebird too” est une chanson de George W. Meyer et Arthur Johnston interprétée par Florence Mills notamment dans la Revue des « Blackbirds ».

Le spectacle Johnny’s Scrapbook se clôt sur la voix d’Ernie Odoom chantant cette chanson dont les paroles évoquent, à plus d’un titre, la figure et le parcours de Johnny Hudgins.
 
I'm a little blackbird looking for a bluebird too
you know little blackbirds, get a little lonesome to
I've been all over from east to the west
in search of someone to feather my nest
why can't I find one the same as you do
the answer must be that I'm a hoodoo
 
I'm a little hobo looking for a rainbow through
building fairy castles, just like all the white folks do
forlorn and crying, my heart is sighing
but wise ol' Al says to keep on trying
I'm a little blackbird looking for a bluebird too


Jamais enregistrée par Florence Mills (les techniques de l’époque n’auraient pas rendu justice au timbre unique de sa voix), la chanson est restée à la postérité notamment par une magnifique version du pianiste et chanteur Earl Hines.
 
17___i__m_a_little_blackbird_looking_for_a_bluebird__08_21_54_.mp3 I'm A Little Blackbird par Earl Hines  (3.17 Mo)

Johnny's Scrapbook / Glossaire 1ère partie

Johnny Hudgins (1896-1990)

Danseur et performeur noir américain, Johnny Hudgins est né à Baltimore en 1896 puis a débuté sa carrière dans les clubs de cette même ville avant de tourner au sein de « The Theater Owners Booking Association » connue pour permettre aux artistes noirs américains de se produire, dans des conditions éprouvantes, sur les scènes américaines. Après avoir développé un numéro de pantomime Blackface, il est surnommé The « Wah Wah Man ». Il rejoint alors les « Chocolate Dandies » puis intègre en 1926 la revue des « Blackbirds » avec laquelle il se produit au Cotton Club et à l’Appollo Theater avant de conquérir Paris et Londres… Il est alors présenté comme « Le Chaplin Noir ». Associé au mouvement de la Harlem Renaissance, il a collaboré avec Noble Sissle, Eubie Blake, Duke Ellington, Joséphine Baker, Florence Mills…
Johnny's Scrapbook / Glossaire 1ère partie

Josephine Baker (1906-1975)

Joséphine Baker, née Freda Josephine McDonald le 3 juin 1906 à Saint-Louis (Missouri) et morte le 12 avril 1975 dans le 13ème arrondissement de Paris, est une chanteuse, danseuse, actrice et meneuse de revue. D'origine métissée afro-américaine et amérindienne des Appalaches, elle est souvent considérée comme la première star noire. Sa carrière débute réellement lorsqu'elle rejoint , en 1923 à Broadway, la troupe de la comédie musicaleShuffle Along, un spectacle populaire à la distribution entièrement noire. Au bout de deux ans de tournée, elle intègre les Chocolate Dandies, qu'elle quitte à leur tour pour entrer au Plantation Club, où elle fait la rencontre de Caroline Dudley Reagan. Cette entrepreneuse américaine l'embauche pour jouer dans une production qui doit être présentée à Paris prochainement. Ce sera la Revue Nègre dont la première a lieu le 2 octobre 1925 au Théâtre des Champs Elysées. Vêtue d'un simple pagne de bananes, elle danse sur un rythme de charleston — musique alors encore inconnue en Europe — l'interprétation d'un tableau baptisé La Danse sauvage. Le scandale fait rapidement place à l'engouement général. Elle devient l'égérie des cubistes qui vénèrent son style et ses formes, et suscite l'enthousiasme des Parisiens pour le jazz et les musiques noires. Au passage, elle impose un nouveau canon de beauté : sa coupe de cheveux à la garçonne accompagne le mouvement d’émancipation de la femme. Elle prend la nationalité française en 1937 et pendant la Seconde Guerre mondiale, joue un rôle important dans la résistance à l'occupant. Elle utilisera sa grande popularité dans la lutte contre le racisme, et pour l'émancipation des Noirs, en particulier en soutenant le Mouvement des doits civiques de Martin Luther King. 
Josephine Baker se produisant en costume "blackface" dans une imitation du "minstrel performer" Johnny Hudgins.
Josephine Baker se produisant en costume "blackface" dans une imitation du "minstrel performer" Johnny Hudgins.

Jungle Urbaine

Le décor du Cotton Club, réservé au seul public blanc, développait toute une imagerie raciste ou, du moins, empreinte de primitivisme. Quand le fond de scène ne simulait pas une jungle tropicale et que les danseurs n'étaient pas affublés de peaux de bête, il s'agissait de reconstituer l'ambiance d'une plantation de coton du sud des Etats-Unis.
 
Entre 1927 et 1931, Duke Ellington est en charge de l'orchestre maison du Cotton Club. C'est là qu'il met au point son fameux style « Jungle » basé sur les sonorités uniques du trompettiste Bubber Milley ou du tromboniste Tricky Sam Nanton. Transformant les sons de leurs instruments par l’emploi de sourdines (la "plunger" ou "wah-wah"), reproduisant des effets vocaux tels que le « grawl », il créent un univers sonore aussi apte à évoquer les sons de la jungle africaine que la cacophonie de la métropole New-Yorkaise. Dans un « signifying »* (pratique du double sens) caractéristique de l’esprit et de l’humour noir américain, Ellington simule le primitivisme dans lequel veut l’enferrer le public blanc du Cotton Club, tout en créant une musique d'une grande sophistication et d'une absolue modernité. 

Le trope de la Jungle Urbaine, en tant que critique de la représentation blanche, empreinte de primitivisme, des noirs et métaphore du ghetto et du destin des populations noires  sur le continent américain, traverse l'histoire du jazz, cf. Duke Ellington, du reggae, cf. Bob Marley ou du rap, cf. Jungle Brothers
 
De manière fulgurante, dés 1926, Jean Renoir reconnaît ce trope de la jungle urbaine à l'écoute d'un enregistrement de jazz que lui apporte le jeune Jean Becker de retour d'un voyage aux Etats-Unis. Il n'oubliera pas cette première impression au moment de mettre en scène, l'année suivante, le court-métrage "Sur un air de Charleston"** :  "Cette musique faisait penser à des animaux de forêt vierge. Leurs cris évoquaient des plantes monstrueuses, des fleurs aux coloris violents. Puis l'exotisme cédait la place à la vie moderne. Ce disque devenait pour moi une représentation de Chicago, la grande ville dont il sortait. Bien sûr, il ne s'agissait  pas du vrai Chicago, mais du Chicago des romans policiers, des filles publiques en jupon court, des lumières violentes baignant les façades en bois des clubs clandestins, en deux mots du Chicago que pouvait imaginer un jeune français d'après la Grande Guerre."***

*Voir le chapitre sur la "Théorie Ellisonienne du Masque"(p141) dans l'ouvrage d'Emmanuel Parent Jazz Power CNRS Editions
**Voir "Sur un air de Charleston"
***Cité dans la biographie signée Pascal Mérigeau "Jean Renoir", Flammarion
 
11___jungle_nights_in_harlem_1.mp3 Jungle Nights In Harlem par Duke Ellington  (4.88 Mo)

Winold Reiss Harlem Jungle
Winold Reiss Harlem Jungle